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  Revue 11

Message d’orient

On peut s’interroger sur l’attirance de l’Orient. Lieu géographique et symbolique il a inspiré nos imaginaires, quand il n’a pas bouleversé notre histoire.
Avant cela, il fut un berceau de savoirs, d’art et d’humanité (Bagdad, Jérusalem, Alexandrie). Il continue aujourd’hui, sous d’autres noms, à embraser nos fantasmes. Soumis à la sémantique des idéologies et à l’expérience de l’histoire, il n’en reste pas moins, à l’instar du soleil dont il est la demeure, 
révélateur de lumière et messager d’espoir.
Les Voyages en Orient ont ouvert, souvent à contre-sens, le champ du lointain. Les mystiques, poètes et philosophes, nous en ont toujours rapproché. 
Cette connaissance orientale leur a permis de donner un autre sens au monde et aux mots. Il ne s’agit plus ici  de langage,  mais de l’invention d’un re-commencement (bereshit). 
Cet Orient-là, riche de mémoire, est toujours devant nous, il nous réveille, s’il le faut, de notre propre mort.

Depuis plus de 5000 ans, l’Egypte est la matrice symbolique de cette vision. Terre de métamorphoses, traversée par Moïse, Pythagore, Maïmonide,
elle continue à ouvrir, bien au delà du rivage méditerranéen, sur un espace de conscience et de création. ‘‘L’oeil de l’étrangère’’, enté sur la mémoire du poète, sait transformer la terre noire en eau, la servitude en liberté.  
Ce fut, en 1926, le message universel porté depuis Alexandrie par la Revue ‘‘Messages d’Orient’’  à laquelle Levant rend hommage. 
Dirigée par Elian J. Finbert et Carlo J. Suarès, elle prend figure, aujourd’hui comme hier, d’une ardente et prophétique création. 
Pour que revive le nécessaire dialogue avec l’Orient du coeur et de la poésie*.
L’Orient est poésie.

* Jabès l’Egyptien  nous éveilla à ce rêve, au printemps 1982, lors d’une Rencontre organisée autour de son oeuvre au Kibboutz  Sde-Boqer  dans le désert du Néguev.
 
 

Revue n°10


Politique des poètes

       C’est certainement dans la tradition prophétique que l’on trouve les plus universelles références à la paix, mais dans une ouverture, un avenir lointain, sinon eschatologique de l’histoire. Les prophètes, en effet, soumettent son avènement à de telles exigences de droit et de justice, d’humilité et de réparation qu’elle semble bien improbable et lointaine. Ainsi définie dans la pérennité et la plénitude d’un salut réparateur (c’est à la lettre le sens des mots hébreu et arabe « shalom » et « salam »), la paix colle à l’horizon messianique. Ce qui ne signifie nullement qu’elle n’est pas pensable, mais qu’elle est soumise au souffle porteur de l’utopie.

        Penser la paix est le rôle du politique, à l’intérieur et à l’extérieur de la Cité. Cet exercice et ce devoir sont soumis, dans l’Histoire, à de multiples et répétitives intempéries, dont l’essentiel est l’absence de pensée créative. 
Ce que disent, autrement,  les poètes, c’est le langage d’un avenir à penser et à inventer. Et son humanité, faite de présence attentive, de rassemblement et d’espérance.*
Même si elle ne permet pas une transformation effective de l’Histoire, la poésie est une victoire sur l’absence et l’exil du sens. En face des logiques et des crises d’un langage conçu comme marchandise et spectacle, elle érige l’utopie d’un monde à venir et à habiter. Nous tenons que notre Méditerranée porte, dans son devenir humain et poétique, cette « politique des poètes ».

       Habiter le monde en poètes, en continuant de porter l’étincelle du dialogue, tel fut l’itinéraire de Mahmoud Darwish, poète palestinien né en Galilée, et d’Alain Suied, poète juif né à Tunis. Ils illustrent bien que l’énergie du poète reste, malgré tout ce qui s’oppose furieusement à elle, celle de l’espoir. 

*C’est pour favoriser le dialogue de paix en Méditerranée qu’ont été organisées à Nice le 29 juin 2008 par Abdallah Akchouch et Daniel Bensoussan les 6è Rencontres pour la Paix  de l’Association Pax MedicalisMichel Eckhard Elial


 
Revue n° 9
Passages frontières

       Au commencement, dans l'amas et le chaos, pas de frontières, l'un. Puis l'exil, le multiple: langues, territoires, peaux.
Des frontières célestes et imaginaires on passe à celles de la terre. Mettre des noms, poser des frontières. Séparation est le chemin de l'histoire, 
et de la pensée, posant des limites, même si les bornes de la raison furent imaginées pour contrer la démesure, poser un toit sur l'errance de l'homme.

      Fuir l'Europe des frontières repliées sur un destin de mort fut pour Walter Benjamin et Hannah Arendt et d'autres le seul passage obligé, 
parce que la frontière quel que ce soit le visage de l'histoire (souvent “cadavre à la renverse”) doit être traversée (corps, langue, territoire) 
jusqu'en Eden, l'utopique jardin du sens.

     La Méditerranée, depuis des millénaires, lève ses rives claires et tragiques pour fonder une communauté à venir.
Dans cet espace aussi bien réel qu'imaginaire, de vives querelles, de tranchants débats mais aussi un long désir d'humanité, nourri par les livres, 
les rencontres, la passion.

      Avons-nous vécu le temps des frontières. Ici et là, d'autres frontières se recomposent pour contenir, arrêter. Pourtant, rappelons-nous qu'Europe fut enlevée par Cadmos et que ce fut là le début d'un riche livre d'histoire et de civilisation. Ce qui a été ouvert par la grande migration fertile se replie, se rétrécit parfois aux limites d'un horizon de nécessités et de peurs, qui exilent une fois encore le coeur battant 
de la Méditerranée.

              Dix ans séparent le Levant Neuf du passage au nouveau millénaire: chemin de pâture  pour retrouver, 
à travers la réflexion et la création, l'urgence de donner à l'Europe incertaine sur ses véritables frontières la Méditerranée dont elle a besoin.

M.E.E

 
 
Levant n°8
Poétique de la mémoire

     La mémoire est à peine sortie d'un silence de cendre qu'elle resurgit dans l'abondance des signes qui la convoquent et la célèbrent. 
Fait-elle partie d'un rituel de sortie du siècle prompt à se constituer en vaste chantier de mémoire à l'heure où le sol identitaire semble se dérober sous l'aléatoire.
     En telles circonstances apparaît la nécessité, en même temps que celle du devoir de mémoire, de gérer la fertilité d'une mémoire située devant nous, dans l'ouverture, au devant de cet autre qu'elle suppose à même d'être rejoint, habité - l'utopie. C'est autour de cette proposition que la mémoire se donne comme acte poétique d'engendrement, d'injonction à donner sens à la parole. 
     Le dernier à parler n'est pas forcément le témoin mais celui qui engendre, dans la transmission de la trace, la parole pour la vie par la mémoire,le fils de l'avenir. Épreuve de liberté, comme le rappelle l'hébraïsme, puisque se constituer en mémoire c'est s'annoncer toujours sur l'arête de l'histoire plus loin que là où la réminiscence se donne le souvenir. Comment la mémoire se pense-t-elle et s'écrit-elle dans le poétique ? De la mémoire de la langue à la mémoire de l'Histoire, la question est aussi pure et énigmatique que celle de la mémoire de l'eau. Elle fait corps avec l'habitation des choses pour savoir d'où elles viennent et où elles vont. C'est ce lieu que le poème cherche aussi en unissant, dans son "mouvement de houle" ses multiples voix trempées de nuit et de clarté.

     Ce numéro s'inscrit lui aussi dans l'oeuvre de mémoire vive et fraternelle, il est particulièrement dédié à Max Bilen qui nous a certainement révélé l'un des sens de l'énigme et de l'évidence poétique et à Claude Gandelman l'infatigable ami, l'aller ego qui a donné à cette revue le meilleur d'elle-même. 

M.E.E
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